L’échographie pour les kinésithérapeutes, utile ou pas ?
W.Hemelryck
La décision d’harmonisation des études au niveau européen amène à une modification de standardisation des études dans les différents pays d’Europe et ceci, en plus d’une équivalence du nombre d’année d’études pour accéder à la profession. Les études en kinésithérapie ne sont pas en marge et font partie intégrante de ce système. L’horizon qui se profile est donc un allongement des études avec en toile de fond une demande plus accrue des connaissances et des compétences toujours plus pointues évoluant en parallèle avec les technologies en constante évolution.
Bien que l’«evidence base of medicine »(EBM) prenne une place de plus en plus importante dans notre métier, il n’est pas toujours possible de l’appliquer strictement pour chaque rééducation du fait des facteurs multi-variables tels que la technique utilisée, le patient, la récupération interindividuelle, les activités diverses de la vie du patient, la variation anatomique, physiologique etc. Il est dès lors impératif d’essayer de se rapprocher au maximum d’un compromis qui lie la réalité de terrain telle que le kinésithérapeute la rencontre dans sa pratique quotidienne. Nous le savons, notre pratique peut s’avérer subjective lorsqu’il n’y a pas de base scientifique à l’appui pour consolider une justification de traitement. Il existe bien sûr des échelles d’évaluation, des gradations, des cotations, des tests orthopédiques validés mais malgré ceux-ci nous sommes souvent confrontés à des questionnements sur l’échec d’un traitement, Pourquoi ce même traitement a-t-il bien fonctionné avec un patient et pas avec un autre ?
Il est évident que si nous nous posons des questions, il ne faut pas négliger la question-clé, systématique et quasi universelle qui est celle du patient et à laquelle nous avons tous déjà été confrontés : Combien de temps cela prendra-t-il?
A cette question, il est strictement impossible de répondre avec une garantie de 100% tant elle est multifactorielle. Pourtant il existe des outils à disposition qui peuvent aider à se rapprocher au maximum d’une réponse reflétant au plus près la réalité du timing de récupération et ce de manière objective. Cet outil n’est autre que l’échographie.
L’échographie est en constante évolution ces dernières années. Son utilisation est connue depuis des décennies par les différents intervenants médicaux et depuis plus de 20 ans dans les pays anglo-saxons par les kinésithérapeutes. En effet, après un cursus universitaire, le kinésithérapeute doit être capable de faire un diagnostic et éventuellement réorienter le patient pour un autre examen d’imagerie. C’est aussi lui qui prescrit l’examen complémentaire si nécessaire. Le diagnostic médical fait donc partie intégrante de ses fonctions.
Qu’en est-il ailleurs ?
Certains pays n’ont pas encore émis d’avis législatif sur le sujet. En France, il existe bel et bien un arrêté ministériel autorisant le kinésithérapeute à pratiquer l’échographie dans le cadre de l’élaboration de son diagnostic kinésithérapique et de la mise en œuvre des traitements. Texte complet ici : http://www.ordremk.fr/wp-content/uploads/2013/09/AVIS-CNO-n°2015-01-CNO-27-MARS-2015-RELATIF-A-LECHOGRAPHIE.pdf
Cependant, malgré cette autorisation, il existe malheureusement beaucoup de critiques émises par les spécialistes en imagerie déjà en place. Ceux-ci préférant la critique à la mise en place de cours également accessibles pour les non médecins. Ces cours permettraient d’aider à la consolidation des connaissances afin de progresser ensemble en connaissance des besoins et demandes de chacun tout en ayant l’avantage de garder un certain contrôle sur ce qui est transmis comme cela se fait en Angleterre depuis plusieurs années ou les kinésithérapeutes et les radiologues travaillent de concert[1].
Comme nous le savons tous, la nouveauté a toujours effrayé le commun des mortels en préférant le confort du quotidien et rejetant la nouveauté au détriment des patients. Mesures corporatistes ? Peut-être. Mais si quelques anciens réfractaires ont peine à accepter l’évolution, il est certain que tout évolue y compris dans le monde médical. Le livre de Stephen Jay Gould La mal-mesure de l’homme est un bel exemple de cette évolution basée sur les erreurs médicales qui influence encore et malheureusement notre présent et notre inconscient collectif. Il est donc clair que cette évolution est incontournable pour le bien-fondé de la science mais surtout pour améliorer la prise en charge de nos patients.
De nos jours, la kinésithérapie offre un éventail de spécialisations aussi diversifiées qu’il existe de disciplines en médecine. En fonction de ces spécialités, le thérapeute orientera ses choix et également ses traitements en accord avec sa spécialité.
Bien que le kinésithérapeute utilise au quotidien des tests orthopédiques dans son bilan et son examen clinique pour le diagnostic kinésithérapique, il va de soi qu’il ne remplace en aucune manière l’orthopédiste ou le rhumatologue. Lorsqu’il fait de la rééducation pré et post partum, il ne remplace pas les fonctions du gynécologue ni même le neurologue lorsqu’il fait des tests fonctionnels et sensitifs du système neurologique. Il en va de même pour le cardiologue, le pneumologue, le médecin du sport, etc. Pourquoi en serait-il différemment en ce qui concerne l’imagerie en échographie vis-à-vis des radiologues ?
La médecine actuelle prône une pluridisciplinarité et un partage des compétences ainsi que des connaissances. Il est internationalement reconnu que le succès du traitement passe par l’interdisciplinarité[2]. Il est dans l’intérêt de tous et principalement de celui du patient de ne pas laisser l’ego et l’individualisme prendre lieu et place d’un travail d’équipe qui sera bien plus constructif, productif et positif car conduisant à plus de satisfaction de la part de tous les acteurs du corps médical, toutes disciplines confondues.
Il n’est pas rare lors de nos consultations d’avoir une prescription ne correspondant pas toujours à la pathologie du patient. Nous ne parlerons pas ici de négligence ou d’incompétence car nul n’est à l’abri d’une erreur, soit par manque d’investigation, soit par la complexité ou la spécificité de la pathologie qui parfois n’est pas connue. En effet, il serait illusoire de croire qu’un professionnel de la santé quel qu’il soit connaisse toutes les pathologies spécifiques en fonction de chaque domaine de spécialisation.
Il en va donc de même pour le kinésithérapeute. Mais, ayant plus de temps avec son patient, il a dès lors plus de chance de trouver le pourquoi du comment en aidant à la découverte de la pathologie. Dans cet ordre d’idée, l’échographie est une aide considérable pour le kinésithérapeute dans l’orientation et les prises de décisions du traitement[3]. En effet, il est impossible de rééduquer un patient ayant une rupture complète de la coiffe des rotateurs. Et ce, même si un parcours classique a été suivi par ce dernier en passant par chez son médecin et en venant consulter avec une prescription de 15 séances de kiné pour douleur d’épaule. De même que si dans la littérature il a été proposé de réserver aux calcifications dures «crayeuses», la thérapie par ondes de choc extracorporelles [4], encore faut-il pouvoir localiser avec précision la calcification. Cette manœuvre étant totalement impossible par les moyens classiques tels que la palpation ou encore par la vision.
En cas de découverte dirigée ou fortuite d’une pathologie, il est du devoir du kinésithérapeute de le renvoyer chez son médecin qui posera le diagnostic ou dirigera vers d’éventuels examens complémentaires. A contrario des pays anglo-saxons, le kinésithérapeute n’est pas habilité, d’un point de vue légal, à poser un diagnostic médical ou de rediriger vers une technique d’imagerie. Cependant les études en kinésithérapie sont basées sur l’anatomie, la biomécanique, les tests fonctionnels, etc., permettant d’émettre un avis pertinent et de reconnaître une structure normale d’une structure pathologique. Le problème se pose lorsque le kinésithérapeute s’adressant au médecin utilise le même langage que celui-ci à des fins de compréhension et non de vouloir poser un diagnostic. Il est donc pour le kinésithérapeute difficile de se situer lorsque, d’un côté, les termes médicaux faisant parti de son cursus doivent être utilisés afin d’avoir un langage commun et de l’autre, ce même langage ne peut être utilisé sous prétexte de poser un diagnostic. Il y a ici de quoi en perdre son latin !
Pourtant, il est souvent utile en consultation de pousser plus loin la recherche d’une pathologie ne concordant pas à la clinique ou ne répondant pas aux tests classiques. De ce fait, l’échographie permet d’aller plus loin dans notre démarche de traitement. En effet, en accédant à l’anatomie par imagerie, il est plus facilement compréhensible, tant pour le thérapeute que par le patient, de trouver la cause de la douleur de la pathologie ou de la défaillance du système anatomique visualisé en ayant un action directe sur la douleur[5].
En plus d’être rapide, indolore et sans aucun effet nocif pour le patient[6], l’examen échographique ajouté aux tests classiques permet d’avoir un acte dirigé en accord avec l’imagerie. La prise de mesure des images pathologiques permettra d’avoir un suivi au long court sur l’évolution et aussi l’efficacité du traitement utilisé.
Il serait aussi réducteur de se cantonner à un seul système alors que la kinésithérapie s’adresse à tous les systèmes du corps humain dans sa globalité. Avantage non négligeable de l’échographie puisqu’il est possible d’associer la Clinique aux tests fonctionnels dynamiques. L’échographie est donc un prolongement logique de l’examen Clinique tant pour le système locomoteur que pour les autres systèmes.
Pour ne citer que quelques exemples, l’échographie est utilisée en urogynécologie [7] [8] sous forme de biofeedback, en revalidation et rééducation musculaire [3], dans les mesures des muscles [9], en préventif[10] ou après la pratique de sports [11], en pneumologie en kinésithérapie respiratoire [12, 13]
Tout ceci sans parler de la recherche en kinésithérapie qui est malheureusement encore trop souvent négligée.
Aux vues de toutes ces avancées et de cette évolution permanente, il serait encore purement hérétique de croire que l’échographie est un simple phénomène de mode et encore pire de croire qu’il ne nous est en rien utile à condition bien sûr de se former en conséquence. En effet, même si la possibilité d’apprendre l’échographie à travers le multimédia existe et semble fonctionner[14], il nous semble irresponsable de s’engager en échographie sans une formation initiale de base enseignée par un professionnel ou un organisme reconnu. Celle-ci aura pour avantage d’être plus rapide et répondra aux besoins du kinésithérapeute dans sa clinique quotidienne.
Référrences
- Callaghan, M.J., A physiotherapy perspective of musculoskeletal imaging in sport. Br J Radiol, 2012. 85(1016): p. 1194-7.
- Korner, M. and J. Bengel, [Teamwork and team success in multi- and interdisciplinary teams in medical rehabilitation]. Rehabilitation (Stuttg), 2004. 43(6): p. 348-57.
- Teyhen, D. and S. Koppenhaver, Rehabilitative ultrasound imaging. J Physiother, 2011. 57(3): p. 196.
- Le Goff, B., et al., Assessment of calcific tendonitis of rotator cuff by ultrasonography: comparison between symptomatic and asymptomatic shoulders. Joint Bone Spine, 2010. 77(3): p. 258-63.
- Moseley, G.L. and D.S. Butler, Fifteen Years of Explaining Pain: The Past, Present, and Future. J Pain, 2015. 16(9): p. 807-13.
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- Thompson, J. and M. Sherburn, 2D real time ultrasound for pelvic floor muscle assessment. J Physiother, 2011. 57(1): p. 59.
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- Nabavi, N., et al., Reliability of rehabilitative ultrasonography to measure transverse abdominis and multifidus muscle dimensions. Iran J Radiol, 2014. 11(3): p. e21008.
- Hides, J.A., et al., The effect of low back pain on trunk muscle size/function and hip strength in elite football (soccer) players. J Sports Sci, 2016. 34(24): p. 2303-2311.
- Longo, V., et al., Ultrasound Findings of Delayed-Onset Muscle Soreness. J Ultrasound Med, 2016. 35(11): p. 2517-2521.
- Sferrazza Papa, G.F., et al., A Review of the Ultrasound Assessment of Diaphragmatic Function in Clinical Practice. Respiration, 2016. 91(5): p. 403-11.
- Le Neindre, A., et al., Thoracic ultrasound: Potential new tool for physiotherapists in respiratory management. A narrative review. J Crit Care, 2016. 31(1): p. 101-9.
- Piposar, J.R., et al., Musculoskeletal ultrasound education: orthopaedic resident ability following a multimedia tutorial. J Surg Orthop Adv, 2015. 24(1): p. 64-8.